J'ouvris la porte, lourde, imposante, gigantesque. On dit que c'est au pied du mur qu'on voit le mieux le mur et c'est vrai. Là, à cet instant précis, je ressentis ce frisson, qui courait le long de ma colonne, montait jusqu'à ma nuque, redressait mon corps. Je réalisai ce que j'avais fait.L'atmosphère était froide, les regards braqués sur moi me mettaient mal-à-l'aise. J'avais longuement hésité, réfléchi cent fois, imaginé les meilleures comme les pires situations et finalement me voilà, seule face à toute l'humanité. J'avais réfléchi. J'avais choisi. C'était maintenant ou jamais. J'allais changer le monde ici et maintenant.
Je pris une profonde inspiration.
Le juge entra dans la salle, on se leva et il annonça :
« Madame Ariane Hilton », c'est moi, le croisement entre l'anglais avec le nom le plus cliché et la grecque ambitieuse qui a décidé de s'installer en France, « vous accusez l'Humanité d'avoir détruit la planète, sa faune et sa flore, pollué l'air ambiant et de bien d'autres choses. Pour ce procès particulier, personne ne pourra vous attaquer, seule votre parole pourra vous sauver ou à l'inverse, causer votre perte. Vous présenterez vos arguments aux jurés et ils décideront du sort qui est réservé ou à vous, où à l'Humanité. Mesdames et messieurs les jurés, je vous invite à poser vos questions à Madame Hilton. »
À nouveau je sentis ce frisson glacial faire redresser mon corps. Je ne ressentais plus aucune peur, seulement de l'excitation à l'idée de voir tous ces visages inconnus changer d'expression, d'opinion, d'habitudes, de tout, parce que moi j'aurais osé entrer dans cette salle et crier haut et fort ce que je pense.
« Madame Hilton, pour ma première question j'aimerais vous demander votre âge. »
C'était un homme, plutôt âgé et je voyais dans son regard une pointe de mépris. Il devait se dire que je n'avais pas assez d'expérience pour prétendre me tenir devant lui. Après tout je n'ai que...
« 19 ans monsieur.
- N'est-ce pas un peu tôt, 19 ans, pour de telles accusations ? Qui peut accuser un monde qu'il ne connaît pas bien, qu'il n'a pas observé sous tous ses angles ? »
J'avais vu juste. Je m’empressai alors de lui répondre :
- Sans vouloir vous manquer de respect monsieur, je pense en avoir assez vu. L'âge n'est pas la seule source de sagesse et si vous me demandez d'attendre la perfection pour me lancer dans de tels débats, j'ai bien peur que la Terre n'y survive pas. Personne n'est parfait, ni moi ni vous. »
J'avais réussi. Le premier des jurés avait été facile à déstabiliser. Je devais continuer sur ma lancée.
« Madame Hilton, je me permets de clore cette discussion pour en venir à la question réellement importante. De quoi accusez-vous l'humanité plus précisément ?
- De plusieurs choses mais je vais commencer par le plus simple et le plus évident, la pollution de l'air. »
Je me souvenais très bien de la raison de ce choix. Je voulais absolument parler de ce fléau. La pollution avait arraché une amie de mon père, je ne la connaissais pas et je ne l'avais jamais vue mais je l'avais quand même perdue.
« Garde ton masque Ariane tu sais bien que c'est obligé dans cette région, surtout ici à Hengshui et encore ce n'est pas le pire.
- Je sais papa, mais il me gratte, c'est quoi le problème ? Ça pue un peu mais rien de très gênant, pas besoin d'en faire des caisses.
- Pas besoin de... non mais tu t'entends dire une chose pareille ? Le problème ce n'est pas l'odeur, c'est l'impact. On porte des masques parce que l'air est pollué, on ne peut pas respirer correctement, bientôt, même avec un masque on ne pourra plus respirer. L'odeur ce n'est rien. C'est vraiment dangereux tu sais, alors que ce masque gratte un peu, on s'en moque. »
L'expression sur mon visage avait totalement changé, au départ irritée et hautaine, elle avait laissé place à de la stupéfaction mêlée à une pointe de peur. Je crois qu'il l'avait vu parce qu'il s'est empressé de s'excuser et de me prendre dans ses bras. Je n'avais jamais vu mon père aussi triste et en colère.
Il m'avait expliqué qu'il avait vécu trois ans dans une famille en Chine, à Baoding, l'actuelle troisième ville la plus polluée de Chine. Là-bas, il avait rencontré une vieille dame, veuve et excellente cuisinière qui vivait avec son fils, sa belle-fille et ses petits-enfants. Il y avait vécu trois merveilleuses années, puis il était retourné en France, avait rencontré ma mère et un jour il décida de retourner en Chine. À l'aéroport il avait trouvé le couple et ses enfants avec une triste mine. La pollution de la ville avait eu raison d'elle et avait fini par l'emporter avec bien d'autres personnes. Aujourd'hui encore il pense à elle. De temps en temps, il nous demande qui cuisine de si bons raviolis, qui prépare ce bouillon à l'odeur si délicate et ce riz bien chaud. Il me fait de la peine, même les odeurs, il ne les oublie pas. Je veux me battre pour elle, pour mon père, pour qu'il puisse se dire que c'était la dernière.
J'avais perdu celle qui avait changé la vie de mon père et la mienne, l'Homme nous avait enlevé cette femme qui n'avait rien fait de plus que de bons petits plats. Il avait fait beaucoup d'erreurs et elle avait dû payer pour lui.
Je pris une profonde inspiration et repris :
« La pollution fait des ravages, pas seulement à l'échelle humaine, mais aussi et surtout mondiale. La pollution touche tous les êtres de cette planète et nous en sommes les uniques responsables, pourquoi faire payer les plus faibles simplement parce qu'ils le sont ? »
Je m'élançai dans une longue tirade d'accusations munies d'arguments et d'innombrables chiffres. Je ne saurais décrire précisément ce que j'ai dit, mis à part que j'avais cherché à parler des gaz à effet de serre et du réchauffement climatique directement lié à ce problème.
« Merci pour ce discours fort intéressant mais je crains que cela ne suffise pas Madame Hilton. Vous ne comptez quand même pas finir là-dessus ?
- Effectivement je ne compte pas m'arrêter là. Je vais d'ailleurs poursuivre avec la fonte des glaces. Comme je l'ai dit plus tôt, le dérèglement climatique pose énormément de problèmes notamment la fonte des glaces polaires et par conséquent la montée des océans. »
Je dois avouer que je n’ai pas de grande aventure à raconter sur ce sujet, seulement de longues études acharnées. Je passais des heures entières dans la bibliothèque, scrutant chaque livre et périodique, cherchant le maximum d’informations sans m’arrêter. Mes découvertes aboutissaient vers de nouvelles questions. Il me fallait tout, sans exception, les informations mineures et majeures, celles qui m’étaient favorables autant que celle qui m’étaient défavorables, celles qui...
« Tu fais quoi ?
- Sérieux Yoshi c'est pas le moment, je travaille, là.
- Yoshi ?! Je t'ai dit mille fois de pas m'appeler comme ça. C'est Yuishi !
- Désolée j'ai du mal avec les prénoms japonais... , je ne me lassais pas de voir l'agacement sur son visage.
- Bien sûr, enfin c'est pas le sujet. Je voulais savoir si tout va bien, je te vois plus depuis plusieurs jours et je voulais te dire que...
- Pas maintenant vraiment, désolée. J'ai des choses importantes à finir.
- Et moi je compte pas ? Je voulais te demander si on pouvait se voir pour changer d'air, pour oublier cette fille que je vois de temps en temps, pour passer du temps avec toi, mais si t'as plus important à faire...
- Cette quoi ? C'est qui déjà, et pourquoi tu ne m'en as pas parlé plus tôt ?
- Oui je vois quelqu'un d'autre, et tu me parles jamais, t'es toujours le nez dans tes livres sans penser à moi, tu m'oublies. Tout ça pour le soi-disant coup du siècle. Si tu y tiens tant que ça à ton procès, je te laisse. »
Fin. De tout. Comme ça. Les erreurs de l'Homme devaient être réparées, et en essayant de rassembler les morceaux de ce qui nous reste de banquise et d'humanité, j'avais perdu celui qui me regardait si tendrement et que j'avais plaisir à regarder de la même manière. L'Homme me l'avait enlevé.
Peu de gens comprenaient et comprennent encore aujourd'hui l'importance de ce procès et lui ne l'avait visiblement pas compris. J'avais fait tout ce que je pouvais et j'avais dû payer pour ça. Mais je ne dois rien regretter, sinon c'en est fini de moi. Il fallait que je me reprenne en main.
Je pris une profonde inspiration et expliquai avec la plus grande précision la situation, ils devaient comprendre que je n'avais pas l'intention de sortir de cette salle avant d'avoir terminé mes explications. S'en suivirent alors d'innombrables données, des statistiques, des chiffres tous plus effrayants les uns que les autres.
« Encore merci pour ces informations madame Hilton, nous avons maintenant la preuve que l'âge ne fait pas tout et je compte bien vous écouter parler jusqu'à la fin. Dites-nous, quel est le prochain sujet que vous aborderez ?
- Je vais maintenant vous parler des incendies qui ravagent des villes et des forêts entières. Je... »
Les larmes me montèrent soudainement aux yeux, il fallait clore cette parenthèse au plus vite sinon je risquais de... de me souvenir.
Trop tard, je le savais, je m'y attendais, ce moment où tout remonterait en moi. Une vague de souvenirs douloureux envahit alors mon esprit. Son cri. Son angoisse. Son corps perdu dans les flammes. Son cri encore et encore.
« Ariane ! Maman ! Papa ! Je suis là ! Ariane ? »
Les flammes rouges étincelantes s'étaient propagées en rien de temps jusqu'à notre maison. Tout avait brûlé, la façade, le jardin, le mobilier à l'intérieur de la maison, Perla.
Mes poumons criaient pour être débarrassés de la fumée qui avait envahi la pièce mais je ne pouvais pas partir sans elle. Ma Perla, ma petite sœur, elle était coincée à l'intérieur et moi à l'extérieur. Je ne me souviens pas de grand chose à part d'une petite salle blanche très épurée, de mes poumons en feu, de ma mère en sanglot et d'un lit d'hôpital accompagné d'une petite fille de six ans sans cheveux et sans vie. On avait essayé de la réanimer mais sans succès, les médecins n'avaient rien pu faire. J'avais perdu celle dont le rire et les cris ne me lassaient jamais. Elle aurait eu 13 ans dans quelques semaines.
Ça avait été l'enfer sur Terre. L'Homme qui a découvert le feu, s'en est trop approché et s'est brulé les ailes. Il a apporté la sécheresse et a enflammé tout ce qui se trouvait en travers de son chemin.
Tous ces souvenirs revinrent me hanter l'esprit mais à nouveau, je ne pouvais pas me permettre de m'arrêter en si bon chemin.
Je pris une profonde inspiration, me ressaisis et entamai, le cœur lourd, la phase finale.
Finalement, les jurés durent admettre que j'avais raison. Tous ces efforts n'avaient pas été vains, j'avais perdu beaucoup lors de ce procès, je voulais vraiment le gagner, je devais gagner. Le juge me sortit de mes pensées avec cette phrase magistrale :
« Je déclare l'Humanité, coupable. »
Je pris une profonde inspiration.
Le juge entra dans la salle, on se leva et il annonça :
« Madame Ariane Hilton », c'est moi, le croisement entre l'anglais avec le nom le plus cliché et la grecque ambitieuse qui a décidé de s'installer en France, « vous accusez l'Humanité d'avoir détruit la planète, sa faune et sa flore, pollué l'air ambiant et de bien d'autres choses. Pour ce procès particulier, personne ne pourra vous attaquer, seule votre parole pourra vous sauver ou à l'inverse, causer votre perte. Vous présenterez vos arguments aux jurés et ils décideront du sort qui est réservé ou à vous, où à l'Humanité. Mesdames et messieurs les jurés, je vous invite à poser vos questions à Madame Hilton. »
À nouveau je sentis ce frisson glacial faire redresser mon corps. Je ne ressentais plus aucune peur, seulement de l'excitation à l'idée de voir tous ces visages inconnus changer d'expression, d'opinion, d'habitudes, de tout, parce que moi j'aurais osé entrer dans cette salle et crier haut et fort ce que je pense.
« Madame Hilton, pour ma première question j'aimerais vous demander votre âge. »
C'était un homme, plutôt âgé et je voyais dans son regard une pointe de mépris. Il devait se dire que je n'avais pas assez d'expérience pour prétendre me tenir devant lui. Après tout je n'ai que...
« 19 ans monsieur.
- N'est-ce pas un peu tôt, 19 ans, pour de telles accusations ? Qui peut accuser un monde qu'il ne connaît pas bien, qu'il n'a pas observé sous tous ses angles ? »
J'avais vu juste. Je m’empressai alors de lui répondre :
- Sans vouloir vous manquer de respect monsieur, je pense en avoir assez vu. L'âge n'est pas la seule source de sagesse et si vous me demandez d'attendre la perfection pour me lancer dans de tels débats, j'ai bien peur que la Terre n'y survive pas. Personne n'est parfait, ni moi ni vous. »
J'avais réussi. Le premier des jurés avait été facile à déstabiliser. Je devais continuer sur ma lancée.
« Madame Hilton, je me permets de clore cette discussion pour en venir à la question réellement importante. De quoi accusez-vous l'humanité plus précisément ?
- De plusieurs choses mais je vais commencer par le plus simple et le plus évident, la pollution de l'air. »
Je me souvenais très bien de la raison de ce choix. Je voulais absolument parler de ce fléau. La pollution avait arraché une amie de mon père, je ne la connaissais pas et je ne l'avais jamais vue mais je l'avais quand même perdue.
« Garde ton masque Ariane tu sais bien que c'est obligé dans cette région, surtout ici à Hengshui et encore ce n'est pas le pire.
- Je sais papa, mais il me gratte, c'est quoi le problème ? Ça pue un peu mais rien de très gênant, pas besoin d'en faire des caisses.
- Pas besoin de... non mais tu t'entends dire une chose pareille ? Le problème ce n'est pas l'odeur, c'est l'impact. On porte des masques parce que l'air est pollué, on ne peut pas respirer correctement, bientôt, même avec un masque on ne pourra plus respirer. L'odeur ce n'est rien. C'est vraiment dangereux tu sais, alors que ce masque gratte un peu, on s'en moque. »
L'expression sur mon visage avait totalement changé, au départ irritée et hautaine, elle avait laissé place à de la stupéfaction mêlée à une pointe de peur. Je crois qu'il l'avait vu parce qu'il s'est empressé de s'excuser et de me prendre dans ses bras. Je n'avais jamais vu mon père aussi triste et en colère.
Il m'avait expliqué qu'il avait vécu trois ans dans une famille en Chine, à Baoding, l'actuelle troisième ville la plus polluée de Chine. Là-bas, il avait rencontré une vieille dame, veuve et excellente cuisinière qui vivait avec son fils, sa belle-fille et ses petits-enfants. Il y avait vécu trois merveilleuses années, puis il était retourné en France, avait rencontré ma mère et un jour il décida de retourner en Chine. À l'aéroport il avait trouvé le couple et ses enfants avec une triste mine. La pollution de la ville avait eu raison d'elle et avait fini par l'emporter avec bien d'autres personnes. Aujourd'hui encore il pense à elle. De temps en temps, il nous demande qui cuisine de si bons raviolis, qui prépare ce bouillon à l'odeur si délicate et ce riz bien chaud. Il me fait de la peine, même les odeurs, il ne les oublie pas. Je veux me battre pour elle, pour mon père, pour qu'il puisse se dire que c'était la dernière.
J'avais perdu celle qui avait changé la vie de mon père et la mienne, l'Homme nous avait enlevé cette femme qui n'avait rien fait de plus que de bons petits plats. Il avait fait beaucoup d'erreurs et elle avait dû payer pour lui.
Je pris une profonde inspiration et repris :
« La pollution fait des ravages, pas seulement à l'échelle humaine, mais aussi et surtout mondiale. La pollution touche tous les êtres de cette planète et nous en sommes les uniques responsables, pourquoi faire payer les plus faibles simplement parce qu'ils le sont ? »
Je m'élançai dans une longue tirade d'accusations munies d'arguments et d'innombrables chiffres. Je ne saurais décrire précisément ce que j'ai dit, mis à part que j'avais cherché à parler des gaz à effet de serre et du réchauffement climatique directement lié à ce problème.
« Merci pour ce discours fort intéressant mais je crains que cela ne suffise pas Madame Hilton. Vous ne comptez quand même pas finir là-dessus ?
- Effectivement je ne compte pas m'arrêter là. Je vais d'ailleurs poursuivre avec la fonte des glaces. Comme je l'ai dit plus tôt, le dérèglement climatique pose énormément de problèmes notamment la fonte des glaces polaires et par conséquent la montée des océans. »
Je dois avouer que je n’ai pas de grande aventure à raconter sur ce sujet, seulement de longues études acharnées. Je passais des heures entières dans la bibliothèque, scrutant chaque livre et périodique, cherchant le maximum d’informations sans m’arrêter. Mes découvertes aboutissaient vers de nouvelles questions. Il me fallait tout, sans exception, les informations mineures et majeures, celles qui m’étaient favorables autant que celle qui m’étaient défavorables, celles qui...
« Tu fais quoi ?
- Sérieux Yoshi c'est pas le moment, je travaille, là.
- Yoshi ?! Je t'ai dit mille fois de pas m'appeler comme ça. C'est Yuishi !
- Désolée j'ai du mal avec les prénoms japonais... , je ne me lassais pas de voir l'agacement sur son visage.
- Bien sûr, enfin c'est pas le sujet. Je voulais savoir si tout va bien, je te vois plus depuis plusieurs jours et je voulais te dire que...
- Pas maintenant vraiment, désolée. J'ai des choses importantes à finir.
- Et moi je compte pas ? Je voulais te demander si on pouvait se voir pour changer d'air, pour oublier cette fille que je vois de temps en temps, pour passer du temps avec toi, mais si t'as plus important à faire...
- Cette quoi ? C'est qui déjà, et pourquoi tu ne m'en as pas parlé plus tôt ?
- Oui je vois quelqu'un d'autre, et tu me parles jamais, t'es toujours le nez dans tes livres sans penser à moi, tu m'oublies. Tout ça pour le soi-disant coup du siècle. Si tu y tiens tant que ça à ton procès, je te laisse. »
Fin. De tout. Comme ça. Les erreurs de l'Homme devaient être réparées, et en essayant de rassembler les morceaux de ce qui nous reste de banquise et d'humanité, j'avais perdu celui qui me regardait si tendrement et que j'avais plaisir à regarder de la même manière. L'Homme me l'avait enlevé.
Peu de gens comprenaient et comprennent encore aujourd'hui l'importance de ce procès et lui ne l'avait visiblement pas compris. J'avais fait tout ce que je pouvais et j'avais dû payer pour ça. Mais je ne dois rien regretter, sinon c'en est fini de moi. Il fallait que je me reprenne en main.
Je pris une profonde inspiration et expliquai avec la plus grande précision la situation, ils devaient comprendre que je n'avais pas l'intention de sortir de cette salle avant d'avoir terminé mes explications. S'en suivirent alors d'innombrables données, des statistiques, des chiffres tous plus effrayants les uns que les autres.
« Encore merci pour ces informations madame Hilton, nous avons maintenant la preuve que l'âge ne fait pas tout et je compte bien vous écouter parler jusqu'à la fin. Dites-nous, quel est le prochain sujet que vous aborderez ?
- Je vais maintenant vous parler des incendies qui ravagent des villes et des forêts entières. Je... »
Les larmes me montèrent soudainement aux yeux, il fallait clore cette parenthèse au plus vite sinon je risquais de... de me souvenir.
Trop tard, je le savais, je m'y attendais, ce moment où tout remonterait en moi. Une vague de souvenirs douloureux envahit alors mon esprit. Son cri. Son angoisse. Son corps perdu dans les flammes. Son cri encore et encore.
« Ariane ! Maman ! Papa ! Je suis là ! Ariane ? »
Les flammes rouges étincelantes s'étaient propagées en rien de temps jusqu'à notre maison. Tout avait brûlé, la façade, le jardin, le mobilier à l'intérieur de la maison, Perla.
Mes poumons criaient pour être débarrassés de la fumée qui avait envahi la pièce mais je ne pouvais pas partir sans elle. Ma Perla, ma petite sœur, elle était coincée à l'intérieur et moi à l'extérieur. Je ne me souviens pas de grand chose à part d'une petite salle blanche très épurée, de mes poumons en feu, de ma mère en sanglot et d'un lit d'hôpital accompagné d'une petite fille de six ans sans cheveux et sans vie. On avait essayé de la réanimer mais sans succès, les médecins n'avaient rien pu faire. J'avais perdu celle dont le rire et les cris ne me lassaient jamais. Elle aurait eu 13 ans dans quelques semaines.
Ça avait été l'enfer sur Terre. L'Homme qui a découvert le feu, s'en est trop approché et s'est brulé les ailes. Il a apporté la sécheresse et a enflammé tout ce qui se trouvait en travers de son chemin.
Tous ces souvenirs revinrent me hanter l'esprit mais à nouveau, je ne pouvais pas me permettre de m'arrêter en si bon chemin.
Je pris une profonde inspiration, me ressaisis et entamai, le cœur lourd, la phase finale.
Finalement, les jurés durent admettre que j'avais raison. Tous ces efforts n'avaient pas été vains, j'avais perdu beaucoup lors de ce procès, je voulais vraiment le gagner, je devais gagner. Le juge me sortit de mes pensées avec cette phrase magistrale :
« Je déclare l'Humanité, coupable. »
A.H.