_ Alerte au feu, même dans la jungle : |
Géo n°411, 2013
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Cette nouvelle a remporté le 4ème Prix du concours
Ça y est. Elle est là devant moi. Les scientifiques disaient qu'on pouvait subir un choc en la voyant comme ça. Une pulsion écologique, une envie de sauver la planète, elle était ressentie par les astronautes. Les scientifiques l'appellent effet Surplomb ou Overwiew en anglais. Elle est belle notre planète Terre. Pour l'instant, je ne vois pas encore les dégâts qu'on a causés. Ma sœur vient s’asseoir à côté de moi :
« Allie, pourquoi t'as l'air triste ?
- T'en fais pas, c'est rien Mia. Regarde dehors, c'est beau l'espace non ?
- Oui ! Maman elle m'avait acheté un livre sur l'espace, et bah c'est comme en vrai ! C'est trop beau ! »
Elle parait encore plus fascinée que moi, en même temps, une enfant de 7 ans dans l'espace ça se comprend... Je me demande si elle comprend la situation et la raison pour laquelle nous sommes dans ce vaisseau. Et comme si elle avait lu dans mes pensées elle demande :
« Allie ? Pourquoi on est là ? On rentre après hein ?
- C'est compliqué. C'est des trucs d'adultes, je lui fais un clin d’œil et continue doucement, tu veux que je t’explique ?
- Oui, s'il te plaît.
- Bon déjà tu te souviens ce qu'on t’a appris à l'école ? Qu'il fallait éteindre la lumière quand on sort d'une pièce, ne pas laisser couler l'eau quand on se brosse les dents...
- Le maître il disait que c'était pour sauver les animaux, mais que c'était trop tard.
- Eh bien il avait raison. Tu sais, comme tu l'as dit, les adultes ils ont compris trop tard ces choses-là, et du coup on part de la Terre pour essayer de faire mieux autre part.
- Mais pourtant mon maître c'est un adulte ! Il le faisait lui non ? Et Maman ? Et Papa ?
- Oui certains adultes le faisaient, mais pas assez. Par exemple les chefs de nos pays ne montraient pas ces exemples là non plus. »
Elle ne répond pas, elle a même l'air triste. Je me dis que peut-être elle ressent aussi l'effet surplomb ? Qui sait... Je regarde de nouveau par le hublot. Et je vois apparaître des terres brûlées, des déserts gigantesques à la place des forêts qu'on nous promettait sur les photos satellites. Ça me rappelle des bribes de conversations que j'ai entendues avant de monter dans le vaisseau :
« Vous pensez qu'on verra les nouveaux déserts ? » « On reviendra un jour ? »
Beaucoup de gens pleuraient aussi, d'autres criaient ou insultaient des passagers ou les personnes à côté d'eux. Tout le monde était nerveux, stressé. Personne ne voulait vraiment partir. C'était une situation de crise et les Etats peinaient à réagir ou simplement ne prenaient pas la peine de réagir. Ils avaient mis du temps à trouver des solutions, et aucune ne semblait vraiment durable. L'argent n'avait plus vraiment de sens, et par conséquent ils avaient commencé à évoquer la construction de vaisseaux spatiaux, qui en termes de valeur se comptaient plus en vies humaines qu'en argent.
Mia me sort de mes pensées :
« Mais du coup, tous les animaux sont morts ! s'exclame-t-elle.
- Non ! je lui souris et j'ajoute, ne t'inquiète pas il y en a encore en vie, je ne sais pas combien, ni quelles espèces mais il y en a sûrement encore.
Elle fronce les sourcils.
- Allie tu promets hein ? Moi je veux un chat plus tard.
- T'en fais pas. »
Ce qu’elle ne sait pas c'est que le climat est invivable sur la moitié de la Terre. Que la surpopulation nous empêche de vivre correctement sur l'autre moitié. Et pourtant, depuis combien de temps on se bat pour essayer de faire entendre nos voix ? Maman dit que le mouvement écolo a commencé vers 1970. L'Humanité a pourtant eu tout son temps pour y réfléchir, et agir. Comment on a pu en arriver là ?
« Mia, à l'école ils t'avaient expliqué ce qu'est le réchauffement climatique ?
- Euh non, mais j'ai déjà entendu Papa en parler. Pourquoi ?
- Parce que c'est aussi pour ça qu'on est ici. Je vérifie d'un rapide coup d’œil qu'elle a l'air intéressée et reprend mon discours. Bon, pour faire simple, la Terre est réchauffée par le Soleil. Et normalement la chaleur en trop repart dans l'espace. Nous les humains, on a construit des machines et des usines qui utilisent du charbon, du gaz ou du pétrole. Mais le problème c'est que ces machines rejettent du gaz dans l'air, et ces gaz retiennent la chaleur du Soleil.
- Mais ça change quoi ?
- Beaucoup de choses. Par exemple les animaux migraient, mais à cause de la chaleur, ils sont restés. Ce n'est pas la seule chose mais les conséquences sont les mêmes. La nature a changé.
- Mais pourquoi nous on part alors ? demande-t-elle.
- Mia, la chaleur nous impacte aussi, les zones déjà chaudes sont devenues invivables, la banquise a fondu donc le niveau de la mer a monté de quatre mètres, et par conséquent certaines terres, comme par exemple des îles, ont disparu.
- Mais quatre mètres c'est pas beaucoup !
- Si ! Attends, tu veux un exemple pour mieux comprendre ?
Elle acquiesce.
- Ok. Regarde un verre d'eau. Tu veux lui rajouter un centimètre d'eau, ça fait pas beaucoup d'eau en plus. Maintenant, une baignoire. Tu veux la remplir d'un centimètre. Ça fait beaucoup plus d'eau que pour le verre déjà non ? Et Maintenant une piscine. Tu comprends le schéma ou pas ?
- Mais sur l'océan un centimètre c'est énorme !
- Sauf que c'est pas un centimètre qui a été rajouté. C'est quatre mètres. Tu vois mieux maintenant ? En plus, les gens qui ont perdu leurs maisons à cause de la montée de l'eau, se sont rajoutés à ceux qui ne pouvaient plus vivre chez eux à cause de la température...
- Les pauvres ! Ils sont allés où ?
- Dans les zones encore habitables. Donc il y n'y avait plus assez d'eau potable pour tout le monde, plus assez de terres pour vivre et cultiver, et plus assez de nourriture... C'était beaucoup de violence pour accéder à tout ça.
Elle semble paniquée.
- C'était pour ça que Papa voulait plus que je sorte seule ?
- Oui. »
Je grimace, je ne voulais pas lui faire peur.
On est assises dans un couloir vide. Les derniers échos de ma voix disparaissent et le silence devient lourd. Je sors donc de quoi mettre de la musique pour égayer l’ambiance.
Mia regarde par le hublot, rêveuse. Je fais pareil pour essayer de me détendre mais surtout pour la rassurer elle. Je ne veux pas qu'elle me voie stressée, parce qu'elle stresserait aussi.
« Mais du coup Allie, on rentrera quand à la maison ? » La voilà. La question à laquelle je ne veux pas répondre. J'ai envie de hurler. De pleurer de rage. De faire comprendre à ceux qui nous ont ruiné nos vies qu'ils ne méritent pas de vivre. Et pourtant je ne peux rien faire. Mia me regarde, avec ses grands yeux pleins d’interrogations et surtout pleins d'espoir. Mais je n'ai pas le choix. Je n'ai plus le choix. Je détourne le regard pour ne pas qu'elle voie la larme sur ma joue.
« Bientôt, Mia. Bientôt. »
« Allie, pourquoi t'as l'air triste ?
- T'en fais pas, c'est rien Mia. Regarde dehors, c'est beau l'espace non ?
- Oui ! Maman elle m'avait acheté un livre sur l'espace, et bah c'est comme en vrai ! C'est trop beau ! »
Elle parait encore plus fascinée que moi, en même temps, une enfant de 7 ans dans l'espace ça se comprend... Je me demande si elle comprend la situation et la raison pour laquelle nous sommes dans ce vaisseau. Et comme si elle avait lu dans mes pensées elle demande :
« Allie ? Pourquoi on est là ? On rentre après hein ?
- C'est compliqué. C'est des trucs d'adultes, je lui fais un clin d’œil et continue doucement, tu veux que je t’explique ?
- Oui, s'il te plaît.
- Bon déjà tu te souviens ce qu'on t’a appris à l'école ? Qu'il fallait éteindre la lumière quand on sort d'une pièce, ne pas laisser couler l'eau quand on se brosse les dents...
- Le maître il disait que c'était pour sauver les animaux, mais que c'était trop tard.
- Eh bien il avait raison. Tu sais, comme tu l'as dit, les adultes ils ont compris trop tard ces choses-là, et du coup on part de la Terre pour essayer de faire mieux autre part.
- Mais pourtant mon maître c'est un adulte ! Il le faisait lui non ? Et Maman ? Et Papa ?
- Oui certains adultes le faisaient, mais pas assez. Par exemple les chefs de nos pays ne montraient pas ces exemples là non plus. »
Elle ne répond pas, elle a même l'air triste. Je me dis que peut-être elle ressent aussi l'effet surplomb ? Qui sait... Je regarde de nouveau par le hublot. Et je vois apparaître des terres brûlées, des déserts gigantesques à la place des forêts qu'on nous promettait sur les photos satellites. Ça me rappelle des bribes de conversations que j'ai entendues avant de monter dans le vaisseau :
« Vous pensez qu'on verra les nouveaux déserts ? » « On reviendra un jour ? »
Beaucoup de gens pleuraient aussi, d'autres criaient ou insultaient des passagers ou les personnes à côté d'eux. Tout le monde était nerveux, stressé. Personne ne voulait vraiment partir. C'était une situation de crise et les Etats peinaient à réagir ou simplement ne prenaient pas la peine de réagir. Ils avaient mis du temps à trouver des solutions, et aucune ne semblait vraiment durable. L'argent n'avait plus vraiment de sens, et par conséquent ils avaient commencé à évoquer la construction de vaisseaux spatiaux, qui en termes de valeur se comptaient plus en vies humaines qu'en argent.
Mia me sort de mes pensées :
« Mais du coup, tous les animaux sont morts ! s'exclame-t-elle.
- Non ! je lui souris et j'ajoute, ne t'inquiète pas il y en a encore en vie, je ne sais pas combien, ni quelles espèces mais il y en a sûrement encore.
Elle fronce les sourcils.
- Allie tu promets hein ? Moi je veux un chat plus tard.
- T'en fais pas. »
Ce qu’elle ne sait pas c'est que le climat est invivable sur la moitié de la Terre. Que la surpopulation nous empêche de vivre correctement sur l'autre moitié. Et pourtant, depuis combien de temps on se bat pour essayer de faire entendre nos voix ? Maman dit que le mouvement écolo a commencé vers 1970. L'Humanité a pourtant eu tout son temps pour y réfléchir, et agir. Comment on a pu en arriver là ?
« Mia, à l'école ils t'avaient expliqué ce qu'est le réchauffement climatique ?
- Euh non, mais j'ai déjà entendu Papa en parler. Pourquoi ?
- Parce que c'est aussi pour ça qu'on est ici. Je vérifie d'un rapide coup d’œil qu'elle a l'air intéressée et reprend mon discours. Bon, pour faire simple, la Terre est réchauffée par le Soleil. Et normalement la chaleur en trop repart dans l'espace. Nous les humains, on a construit des machines et des usines qui utilisent du charbon, du gaz ou du pétrole. Mais le problème c'est que ces machines rejettent du gaz dans l'air, et ces gaz retiennent la chaleur du Soleil.
- Mais ça change quoi ?
- Beaucoup de choses. Par exemple les animaux migraient, mais à cause de la chaleur, ils sont restés. Ce n'est pas la seule chose mais les conséquences sont les mêmes. La nature a changé.
- Mais pourquoi nous on part alors ? demande-t-elle.
- Mia, la chaleur nous impacte aussi, les zones déjà chaudes sont devenues invivables, la banquise a fondu donc le niveau de la mer a monté de quatre mètres, et par conséquent certaines terres, comme par exemple des îles, ont disparu.
- Mais quatre mètres c'est pas beaucoup !
- Si ! Attends, tu veux un exemple pour mieux comprendre ?
Elle acquiesce.
- Ok. Regarde un verre d'eau. Tu veux lui rajouter un centimètre d'eau, ça fait pas beaucoup d'eau en plus. Maintenant, une baignoire. Tu veux la remplir d'un centimètre. Ça fait beaucoup plus d'eau que pour le verre déjà non ? Et Maintenant une piscine. Tu comprends le schéma ou pas ?
- Mais sur l'océan un centimètre c'est énorme !
- Sauf que c'est pas un centimètre qui a été rajouté. C'est quatre mètres. Tu vois mieux maintenant ? En plus, les gens qui ont perdu leurs maisons à cause de la montée de l'eau, se sont rajoutés à ceux qui ne pouvaient plus vivre chez eux à cause de la température...
- Les pauvres ! Ils sont allés où ?
- Dans les zones encore habitables. Donc il y n'y avait plus assez d'eau potable pour tout le monde, plus assez de terres pour vivre et cultiver, et plus assez de nourriture... C'était beaucoup de violence pour accéder à tout ça.
Elle semble paniquée.
- C'était pour ça que Papa voulait plus que je sorte seule ?
- Oui. »
Je grimace, je ne voulais pas lui faire peur.
On est assises dans un couloir vide. Les derniers échos de ma voix disparaissent et le silence devient lourd. Je sors donc de quoi mettre de la musique pour égayer l’ambiance.
Mia regarde par le hublot, rêveuse. Je fais pareil pour essayer de me détendre mais surtout pour la rassurer elle. Je ne veux pas qu'elle me voie stressée, parce qu'elle stresserait aussi.
« Mais du coup Allie, on rentrera quand à la maison ? » La voilà. La question à laquelle je ne veux pas répondre. J'ai envie de hurler. De pleurer de rage. De faire comprendre à ceux qui nous ont ruiné nos vies qu'ils ne méritent pas de vivre. Et pourtant je ne peux rien faire. Mia me regarde, avec ses grands yeux pleins d’interrogations et surtout pleins d'espoir. Mais je n'ai pas le choix. Je n'ai plus le choix. Je détourne le regard pour ne pas qu'elle voie la larme sur ma joue.
« Bientôt, Mia. Bientôt. »
Tilenn