Selon les experts, 5 milliards de personnes pourraient ne pas avoir d'accès à l'eau potable en 2025 si rien n'est fait. La réduction de la consommation doit inévitablement passer par une amélioration des techniques d'irrigation, mais la lutte contre le gaspillage sera difficile dans les pays en développement." |
Article publié sur le site Le Monde, publié le 20 mars 2005.
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Cette nouvelle a remporté le 5ème Prix du concours
10 mars 2867
J'ai marché dans la ville, en évitant les gens qui mouraient à même le sol, il y avait de tout, des femmes, des hommes, des vieillards, et des enfants, beaucoup d'enfants. Le gouvernement a pourtant interdit la Mort Publique, qui est désormais condamnable, mais qui voulez-vous condamner ? Les gens déjà morts, et méconnaissables ?
L'été a déjà commencé depuis un mois, et des milliers de personnes sont mortes à cause de la chaleur du manque d'eau, ou des maladies telles que le choléra, la typhoïde, ou l'hépatite, présentes dans l'eau non-potable que les gens dans le besoin boivent.
L'été a déjà commencé depuis un mois, et des milliers de personnes sont mortes à cause de la chaleur et du manque d'eau. Les présidents refusent de donner un chiffre plus ou moins exact sur le nombre de personnes décédées. Mais j'ai pu en compter une centaine dans ma rue. C'était devenu normal, une routine, mais quand ma mère était jeune ça n'était pas comme ça, les gens n'avaient pas à se préoccuper du manque d'eau, il y en avait assez pour tout le monde, mais doucement l'eau s'est faite de plus en plus rare, il a plu de moins en moins, et puis il y a eu cette pénurie d'eau qui dure maintenant depuis plus de 35 ans.
Cela fait maintenant trois jours que le gouvernement a diminué la quantité d'eau disponible par personne, on est passé de 60cl à 50cl, les médias n'ont pas le droit de parler des conséquences négatives, alors depuis quelques jours, on entend à la télé la même propagande : « Les scientifiques pensent que ce changement est bénéfique pour la planète », « Nous allons doucement, mais sûrement avoir de plus en plus d'eau », « Les nappes phréatiques se réemplissent ». Tout ce que je sais, c'est que de plus en plus de personnes meurent tous les jours. Je ne supporte plus ce monde, où chaque jour j'ai peur de mourir, où je me demande si je pourrai boire suffisamment.
Tous les lundis matin à sept heures, tout le monde doit aller chercher son eau pour la semaine et personne ne peut avoir plus, et si je risque de mourir, je peux me rendre dans un hôpital de quartier, mais pour cela je dois prendre une voiture, et ça coûte beaucoup trop cher, seules les personnes les plus aisées peuvent s'en servir, c'est pour cela que tout le monde meurt dans la rue. Quand j'avais six ans, je me rappelle que je ne voulais jamais sortir, les gens sur le sol me faisaient peur, et quand ma mère me forçait à sortir, je hurlais et pleurais jusqu'à ce qu'elle me laisse rentrer.
14 mars 2867
Ce matin, en me levant maman m'a a peine regardée. Il faut la comprendre, aujourd'hui, c'est l'anniversaire de la mort de Gaël, le petit frère que je n'aurai jamais. Je ne l'ai pas beaucoup connu, il est né à l'hôpital, et est mort dans ce même hôpital. Il n'en est jamais sorti, il a eu la chance de ne pas découvrir le monde dans lequel il aurait dû vivre. Je ne peux pas vraiment être triste pour lui, je ne le connais pas, personne ne l'a connu en réalité, mais voir ma mère dans cet état m'accable. Nous n'avons jamais été vraiment proches l'une de l'autre, et chaque problème nous éloigne, parce que nous nous renfermons sur nous-mêmes. J'aurais voulu que papa soit là, et tienne compagnie à maman, qu'il soit une épaule sur laquelle elle puisse pleurer, mais ça fait maintenant onze ans qu'il ne nous a pas adressé la parole, aux dernières nouvelles il habite dans un de ces nouveaux quartiers, destinés aux personnes très aisées, alors je ne m'inquiète pas pour lui et sa nouvelle femme.
Aujourd'hui, c'est une journée très chaude, très lourde, comme si quelqu'un s'appuyait sur tes épaules, jusqu'à ce que tu tombes, inerte. Je ne vais même pas sortir, lors de ces journées on ne peut pas poser un pied sur le sol. Au bout d'un moment, il ne restera que les personnes les plus robustes, je dirais des gens dans leur vingtaine. Toutes les personnes âgées, les jeunes, et ceux qui sont à peine malades, disparaissent vite. Je sais qu'un jour je ferai partie de ces personnes, mais je ne m'attriste pas trop sur mon sort, elle ne m'intéresse pas tant que ça cette vie, et puis nous sommes tous destinés à une mort.
J'ai décidé de créer une radio clandestine, je veux prévenir la population, je ne veux pas que l'histoire de ma famille se répète dans d'autres familles.
20 mars 2867
Je profite de cette journée un peu plus fraîche pour sortir, je vais dans le quartier pauvre, là où je pourrais trouver des composants de radio, mais personne ne doit me voir, je risque ma vie. Sur le dark web, j'ai trouvé des plans de construction d'une radio, j'espère que ça marchera du premier coup, je n'ai pas assez d'argent et je ne peux pas me permettre de rater. Je déambule dans les rues, je ne m'y connais pas réellement, et je n'ai aucune connaissance qui puisse me guider alors je vais faire de mon mieux, seule. Il me faut un émetteur radio, une antenne d'émission, un medium de transmission, une antenne de réception, et un récepteur radio.
21 mars 2867
Après de longues recherches, et une nuit très courte, j'ai enfin réussi à monter cette radio, ce fut long et compliqué, mais je l'ai fait. J'ai aussitôt lancé le premier message, et je sais que plus d'une centaine de personnes ont pu l'écouter.
25 mars 2867
Je suis fière de moi, depuis cinq jours mon premier message prend de plus en d'ampleur, et il est maintenant temps de lancer le deuxième : les messages ont un mécanisme simple, une phrase est enregistrée et est diffusée en boucle jusqu'au prochain message, et tous les auditeurs peuvent écouter le message en connaissant la fréquence de la radio. Le deuxième message est le suivant : « L'été a commencé il y a un mois, et des milliers de personnes sont mortes. Le gouvernement ne veut pas en parler, ils se voilent la face, et vos proches, décédés, tombent dans l'oubli ».
Depuis le lancement de cette radio clandestine, maman s'inquiète pour moi. Mais il n'y a pas de raison, le gouvernement ne peut pas me tracer et me retrouver. C'est impossible.
5 avril 2867
J'ai lancé le cinquième message, ma radio est de plus en plus connue, les gens en parlent. Je n'aime pas toute cette attention, ça en devient réellement dangereux. En réalité, je m'en fiche un peu, que pourrait-il arriver ? Je suis la seule dans ce projet, personne d'autre ne risque sa vie, et j'aide les gens, je les informe. Des personnes du quartier riche m'ont contactée, ils veulent donner de l'argent pour aider les autres quartiers, je suis heureuse de pouvoir faire ça. Peut-être que ça va nous aider.
8 avril 2867
Maman a reçu une lettre, une lettre de menace. Le gouvernement va arrêter de me fournir de l'eau si je ne diffuse pas un message d'excuse et que je ne supprime pas la radio. Je ne vais rien faire de tout ça, je vais changer de fréquence, ils ne me retrouveront pas.
12 avril 2867
Ils m'ont retrouvée. Maman a fui, elle ne peut pas subir le même sort que moi, le gouvernement est cruel, juste parce qu'elle est ma mère, elle en devient ma complice. Elle ne mérite pas ça. Au début, elle ne voulait pas partir, elle voulait qu'on partage son eau, et que je m'en sorte, mais j'ai peur pour elle, et elle s'en sortira mieux sans moi. Pour survivre un peu, certains de mes auditeurs se sont portés volontaires pour me fournir de l'eau, et il n'y aucun lien entre eux et moi, alors ils ne risquent rien.
11 mai 2867
Aujourd'hui personne n'est venu, et personne ne viendra, il me reste un peu d'eau, alors je devrais tenir la journée.
12 mai 2867
Personne aujourd'hui non plus. Maman est venue, elle veut être à mon chevet, elle ne peut pas me fournir de l'eau non plus, mais il lui reste quelques réserves pour elle. Je ne peux pas lui en demander, de toute façon, si je survis je ne deviendrai personne. Je suis une criminelle après tout.
14 mai 2867
8h30
Je me réveille avec un mal de tête terrible, j'ai la tête qui tourne, tout est flou. Ma mère me parle, elle s’occupe dans la chambre mais je ne comprends pas ce qu'elle dit, ni ce qu'elle fait, ses mots bourdonnent, vibrent dans mes tympans, mais mon cerveau n'arrive pas à en saisir le sens. Aujourd'hui, c'est mon anniversaire, et c'est peut-être aussi le jour de ma mort.
8h45
Je m'étais rendormie un peu, et mon réveil sonne de nouveau. La sonnerie résonne dans mon cerveau, et me fait affreusement souffrir. J'ai soif.
9h02
Je n'ai plus aucune force, ma tête tourne, ma vision est trouble et je n'arrive plus à bouger, mon cœur bat beaucoup plus lentement que d'habitude. J'ai peur.
9h36
J'ai du mal à respirer, j'ai mal.
10h
Fin.
J'ai marché dans la ville, en évitant les gens qui mouraient à même le sol, il y avait de tout, des femmes, des hommes, des vieillards, et des enfants, beaucoup d'enfants. Le gouvernement a pourtant interdit la Mort Publique, qui est désormais condamnable, mais qui voulez-vous condamner ? Les gens déjà morts, et méconnaissables ?
L'été a déjà commencé depuis un mois, et des milliers de personnes sont mortes à cause de la chaleur du manque d'eau, ou des maladies telles que le choléra, la typhoïde, ou l'hépatite, présentes dans l'eau non-potable que les gens dans le besoin boivent.
L'été a déjà commencé depuis un mois, et des milliers de personnes sont mortes à cause de la chaleur et du manque d'eau. Les présidents refusent de donner un chiffre plus ou moins exact sur le nombre de personnes décédées. Mais j'ai pu en compter une centaine dans ma rue. C'était devenu normal, une routine, mais quand ma mère était jeune ça n'était pas comme ça, les gens n'avaient pas à se préoccuper du manque d'eau, il y en avait assez pour tout le monde, mais doucement l'eau s'est faite de plus en plus rare, il a plu de moins en moins, et puis il y a eu cette pénurie d'eau qui dure maintenant depuis plus de 35 ans.
Cela fait maintenant trois jours que le gouvernement a diminué la quantité d'eau disponible par personne, on est passé de 60cl à 50cl, les médias n'ont pas le droit de parler des conséquences négatives, alors depuis quelques jours, on entend à la télé la même propagande : « Les scientifiques pensent que ce changement est bénéfique pour la planète », « Nous allons doucement, mais sûrement avoir de plus en plus d'eau », « Les nappes phréatiques se réemplissent ». Tout ce que je sais, c'est que de plus en plus de personnes meurent tous les jours. Je ne supporte plus ce monde, où chaque jour j'ai peur de mourir, où je me demande si je pourrai boire suffisamment.
Tous les lundis matin à sept heures, tout le monde doit aller chercher son eau pour la semaine et personne ne peut avoir plus, et si je risque de mourir, je peux me rendre dans un hôpital de quartier, mais pour cela je dois prendre une voiture, et ça coûte beaucoup trop cher, seules les personnes les plus aisées peuvent s'en servir, c'est pour cela que tout le monde meurt dans la rue. Quand j'avais six ans, je me rappelle que je ne voulais jamais sortir, les gens sur le sol me faisaient peur, et quand ma mère me forçait à sortir, je hurlais et pleurais jusqu'à ce qu'elle me laisse rentrer.
14 mars 2867
Ce matin, en me levant maman m'a a peine regardée. Il faut la comprendre, aujourd'hui, c'est l'anniversaire de la mort de Gaël, le petit frère que je n'aurai jamais. Je ne l'ai pas beaucoup connu, il est né à l'hôpital, et est mort dans ce même hôpital. Il n'en est jamais sorti, il a eu la chance de ne pas découvrir le monde dans lequel il aurait dû vivre. Je ne peux pas vraiment être triste pour lui, je ne le connais pas, personne ne l'a connu en réalité, mais voir ma mère dans cet état m'accable. Nous n'avons jamais été vraiment proches l'une de l'autre, et chaque problème nous éloigne, parce que nous nous renfermons sur nous-mêmes. J'aurais voulu que papa soit là, et tienne compagnie à maman, qu'il soit une épaule sur laquelle elle puisse pleurer, mais ça fait maintenant onze ans qu'il ne nous a pas adressé la parole, aux dernières nouvelles il habite dans un de ces nouveaux quartiers, destinés aux personnes très aisées, alors je ne m'inquiète pas pour lui et sa nouvelle femme.
Aujourd'hui, c'est une journée très chaude, très lourde, comme si quelqu'un s'appuyait sur tes épaules, jusqu'à ce que tu tombes, inerte. Je ne vais même pas sortir, lors de ces journées on ne peut pas poser un pied sur le sol. Au bout d'un moment, il ne restera que les personnes les plus robustes, je dirais des gens dans leur vingtaine. Toutes les personnes âgées, les jeunes, et ceux qui sont à peine malades, disparaissent vite. Je sais qu'un jour je ferai partie de ces personnes, mais je ne m'attriste pas trop sur mon sort, elle ne m'intéresse pas tant que ça cette vie, et puis nous sommes tous destinés à une mort.
J'ai décidé de créer une radio clandestine, je veux prévenir la population, je ne veux pas que l'histoire de ma famille se répète dans d'autres familles.
20 mars 2867
Je profite de cette journée un peu plus fraîche pour sortir, je vais dans le quartier pauvre, là où je pourrais trouver des composants de radio, mais personne ne doit me voir, je risque ma vie. Sur le dark web, j'ai trouvé des plans de construction d'une radio, j'espère que ça marchera du premier coup, je n'ai pas assez d'argent et je ne peux pas me permettre de rater. Je déambule dans les rues, je ne m'y connais pas réellement, et je n'ai aucune connaissance qui puisse me guider alors je vais faire de mon mieux, seule. Il me faut un émetteur radio, une antenne d'émission, un medium de transmission, une antenne de réception, et un récepteur radio.
21 mars 2867
Après de longues recherches, et une nuit très courte, j'ai enfin réussi à monter cette radio, ce fut long et compliqué, mais je l'ai fait. J'ai aussitôt lancé le premier message, et je sais que plus d'une centaine de personnes ont pu l'écouter.
25 mars 2867
Je suis fière de moi, depuis cinq jours mon premier message prend de plus en d'ampleur, et il est maintenant temps de lancer le deuxième : les messages ont un mécanisme simple, une phrase est enregistrée et est diffusée en boucle jusqu'au prochain message, et tous les auditeurs peuvent écouter le message en connaissant la fréquence de la radio. Le deuxième message est le suivant : « L'été a commencé il y a un mois, et des milliers de personnes sont mortes. Le gouvernement ne veut pas en parler, ils se voilent la face, et vos proches, décédés, tombent dans l'oubli ».
Depuis le lancement de cette radio clandestine, maman s'inquiète pour moi. Mais il n'y a pas de raison, le gouvernement ne peut pas me tracer et me retrouver. C'est impossible.
5 avril 2867
J'ai lancé le cinquième message, ma radio est de plus en plus connue, les gens en parlent. Je n'aime pas toute cette attention, ça en devient réellement dangereux. En réalité, je m'en fiche un peu, que pourrait-il arriver ? Je suis la seule dans ce projet, personne d'autre ne risque sa vie, et j'aide les gens, je les informe. Des personnes du quartier riche m'ont contactée, ils veulent donner de l'argent pour aider les autres quartiers, je suis heureuse de pouvoir faire ça. Peut-être que ça va nous aider.
8 avril 2867
Maman a reçu une lettre, une lettre de menace. Le gouvernement va arrêter de me fournir de l'eau si je ne diffuse pas un message d'excuse et que je ne supprime pas la radio. Je ne vais rien faire de tout ça, je vais changer de fréquence, ils ne me retrouveront pas.
12 avril 2867
Ils m'ont retrouvée. Maman a fui, elle ne peut pas subir le même sort que moi, le gouvernement est cruel, juste parce qu'elle est ma mère, elle en devient ma complice. Elle ne mérite pas ça. Au début, elle ne voulait pas partir, elle voulait qu'on partage son eau, et que je m'en sorte, mais j'ai peur pour elle, et elle s'en sortira mieux sans moi. Pour survivre un peu, certains de mes auditeurs se sont portés volontaires pour me fournir de l'eau, et il n'y aucun lien entre eux et moi, alors ils ne risquent rien.
11 mai 2867
Aujourd'hui personne n'est venu, et personne ne viendra, il me reste un peu d'eau, alors je devrais tenir la journée.
12 mai 2867
Personne aujourd'hui non plus. Maman est venue, elle veut être à mon chevet, elle ne peut pas me fournir de l'eau non plus, mais il lui reste quelques réserves pour elle. Je ne peux pas lui en demander, de toute façon, si je survis je ne deviendrai personne. Je suis une criminelle après tout.
14 mai 2867
8h30
Je me réveille avec un mal de tête terrible, j'ai la tête qui tourne, tout est flou. Ma mère me parle, elle s’occupe dans la chambre mais je ne comprends pas ce qu'elle dit, ni ce qu'elle fait, ses mots bourdonnent, vibrent dans mes tympans, mais mon cerveau n'arrive pas à en saisir le sens. Aujourd'hui, c'est mon anniversaire, et c'est peut-être aussi le jour de ma mort.
8h45
Je m'étais rendormie un peu, et mon réveil sonne de nouveau. La sonnerie résonne dans mon cerveau, et me fait affreusement souffrir. J'ai soif.
9h02
Je n'ai plus aucune force, ma tête tourne, ma vision est trouble et je n'arrive plus à bouger, mon cœur bat beaucoup plus lentement que d'habitude. J'ai peur.
9h36
J'ai du mal à respirer, j'ai mal.
10h
Fin.
Eulalie Dilieux